La Forteresse

 

Loin, très loin dans les plaines de l’ouest, se trouve une forteresse qui se dresse fièrement sur les hauteurs enneigées. Si l’accès s'avère des plus difficiles, voire impossible à cause des conditions climatiques qu’il y règne, essayer de s’en approchez s’apparenterait à du suicide, tellement celle-ci est bien gardée. Si vous contiez la visiter, vous n’en ressortiriez jamais. Il y a longtemps que cette forteresse fut reconvertie en une prison expérimentale dans laquelle il n'y a pas de gardien. On y enferme les criminels les plus dangereux, des prisonniers condamnés à la perpétuité. Livrés à eux-mêmes, c'est la loi du plus fort qui règne…

Aujourd'hui, un nouveau détenu fait son entrée dans la forteresse. C’est le genre d'événement qui regroupent la plupart des détenus. Avec curiosité, ils regardent les gardiens le jeté comme un chien, dans ce qui sera désormais sa dernière demeure.

– Prisonnier matricule 1514584, voilà vos quartiers, lui dit le chef des gardiens avant de refermer la porte.

Très vite, un prisonnier s’approche de ce dernier et humainement, lui tant une main pour l’aider à se relever.

– Ça va aller ?

– Je crois.

– Bienvenue en enfer mon gars.

– C'est vraiment l'enfer ici ?

– Les gardiens ne sont pas là pour faire régner l'ordre et la discipline, alors oui.

– Il n’y a vraiment pas de gardien ici ?

– Non mec, ils restent dans leurs tours, positionnés tout autour de la forteresse, et n'interviennent presque jamais.

– Et comment ça se passe ici au juste ?

– C'est chacun pour soit…

Il n’y pas si longtemps, ils étaient encore une dizaine de prisonniers. Il faut dire que le statut expérimental de cette prison est toujours remis en question par l’administration. Les hommes qui y sont enfermés ne sont que des bêtes sauvages. C’est en tout cas le constat qu’ils ont fait à chaque expérimentation enregistrée. Celle-ci sera la dernière, après cela, l’avenir de la forteresse sera déterminé. La prison ouvrira officiellement ou bien fermera…

– On bouffe quand ici ? demanda le nouveau au détenu qui l’avait précédemment aidé.

– Les gardiens nous apportent des vivres pour une semaine. Parfois, ça se passe bien, d’autres fois, faut se batte pour bouffer.

– Se battre ?

– Oui, se battre. Et toujours, il y a un gagnant et un…

– Laisse-moi deviné, un perdant ?

 – Non, un mort !

Est-ce que le concept fonctionne ou est-il voué à l’échec ? C’est ce que ce dernier test nous dira. Le problème, c’est que les prisonniers ne s'entendent pas tous entre eux. À chaque instant, des bagarres éclatent et le nombre de détenus baisse en conséquence. Heureusement, il y en a toujours qui se dégage du lot pour les séparer et faire régner le calme. Le calme ? Celui-ci sera de courte durée, c’est toujours comme ça.

– Comment tu t’appels, demanda le prisonnier au nouveau.

– Je m’appelle Mike et toi ?

– Appelle-moi Jason.

– Quoi, genre le Jason de Crystal Lake, Jason, ce meurtrier fou ?

– Si tu savais ce que j’ai fait avant d’être enterré ici !

– Si on est ici, c’est pour une bonne raison, c’est sûr.

– Alors tu as déjà tué un homme Mike ?

– Non, je ne suis pas de ce genre-là.

– T’inquiète, ça viendra !

Soudain, un autre prisonnier interpelle Jason et lui demande :

– Mec, tu n’as pas vu mon pote Samuel ? Ça fait deux jours que je n’ai pas eu un signe de lui ?

– Je n’en sais rien, je ne suis pas sa baby-sitter.

– Encore un !

Le prisonnier s’éloigne de Jason, Mike étonné lui demande :

– Encore un ? Qu’est-ce qu’il a voulu dire par là ?

Mais Jason ne répond pas et se recule à son tour. Comme à chacun des tests passés, des disparitions s'opèrent. Des disparitions ? Oui, des corps mutilés sont alors retrouvés et un climat de méfiance s’installe chez tout le monde. Des règlements de comptes ? Probablement. Les gens finissent par se regarder avec méfiance… Même si tous ne sont pas des meurtriers, ils le savent, certains sont de vrais psychopathes. Alors que des corps sont retrouvés, certains se demandent qui a fait ça ? Une chose est sûre, les gardes n'interviendront pas, les détenus sont prévenus. Toutes façons, ils sont condamnés à la perpétuité, la mort est la seule porte de sortie.

– Salut mec, moi c’est Maurice, se présenta l’ami de Samuel.

– Enchanté, moi c’est Mike.

– Pourquoi ils t’ont jeté dans ce trou ?

– Pour rien.

– Personne n’est ici pour rien.

– Dis-moi, tu disais que ton ami Samuel a disparu ?

– Encore un de moins.

– Ça veut dire quoi ? l’interrogea Mike.

– Ça veut dire ce que ça veut dire.

– On n’est pas des bêtes, on reste des êtres humains.

– Parle pour toi, conclut Maurice avant d’aller se pieuter dans son coin.

Que feriez-vous dans leur cas ? Ne devraient-ils pas rester ensemble au lieu de s’isoler comme ils le font ? Ils deviennent alors des proies faciles.

– Et je dors où pour cette nuit ? demanda Mike en se tournant vers Jason.

– Tu dors où tu veux, je ne suis pas ton père.

Ici, c'est un peu chacun pour soit. Comme ils ne s'entendent pas tous et qu'ils commencent à se méfier les uns des autres, la plupart s'isolent. Pas de bol, eux aussi finissent par être retrouvés morts. Des membres sont arrachés de leur corps et gissent sur le sol couvert de sang, c’est dégoûtant.

– Samuel, non, putain, pas toi ! s’écrira Maurice a la vue de son cadavre.

Non loin de là, Mike se réveille. Très vite, il reprend ses esprits et découvre la scène macabre vélique.

– Oh merde, ce n’est pas vrai !

– Tu vois Mike, je te l’avais dit, tous des chiens !

– Tu crois que c’est Jason ?

– Ça peut être lui, ça peut être n’importe qui.

Qui peut bien être ce meurtrier sanguinaire ? C’est bien la question que tout le monde se pose. Ils ne sont plus que quatre à présent, c’est forcément l’un d’entre eux, mais lequel ?

– Je sais que ce n’est pas toi, et on sait tous que ce n’est pas moi, rétorqua Mike.

– Tu crois ?

De nouveau Maurice s’éloigne tandis que Mike se questionne. Et si nous faisions la connaissance de ces hommes pour mieux cerner leur profil psychologique. D’un côté, il y a Mike, un jeune homme de vingt-six ans qui a un parcours scolaire exemplaire, il a fait de longues études dans le domaine de l’ingénierie. Il est brillant et intelligent, c’est à se demander ce qu’il fait ici ? Brillant, pas vraiment. Il s’est retrouvé embarqué dans le braquage d’une banque qui a mal tourné, de nombreuses personnes sont décédées. Ce sont des pensées qui le perturbent en ce moment même alors qu’il essaye de réfléchir. Même s’il jure ne pas être le responsable de ces meurtres, à ce jour, des millions se sont envolés et n'ont jamais été retrouvés.

– T’es là mec, je te cherchais, s’adressa Jason à Mike.

– Et pourquoi tu me cherchais ?

– Tu crois que c’est moi qui ai fait ça ?

– Je viens d’arriver, comment je le serai ?

– J’en ai appris un peu plus sur toi.

– Et alors ?

– Je crois qu’on va être de bon ami toi et moi.

– Je ne crois pas non.

– Écoute Mike, je ne suis pas un meurtrier.

– Mouais.

– Je me vante juste de m’appeler Jason, juste pour jouer le gros dur devant tous ses autres tarés, c’est tout !

Passons au suivant, cet homme de trente-cinq ans qui semble apprécier la compagnie de Mike. Il faut dire que lui aussi a fait quelques années d’études, dans l’informatique. Jason est un programmeur talentueux qui s’est servi de ses compétences pour pirater les réseaux de la défense. Grosse erreur de s’attaquer au gouvernement ! D’après lui, il est tombé sur des informations classées secrètes et on voudrait le faire taire à jamais. Si Mike en doute, il ne le juge pas, et l’écoute tout simplement. C’est vrai qu’il n’a pas l’air d’un tueur contrairement aux deux autres.

– Mais si tu n’as jamais tué personne et que Maurice n’a pas tué son ami Samuel, c’est que c’est l’autre ?

– Quoi, Martin ?

– Qu’est-ce que tu sais sur lui Jason ?

– Je sais qu’il a commis des meurtres, mais c’était juste parce que des gars l’avaient poussé à bout.

– Donc ça pourrait être lui ?

– Tout ce que je sais, c’est qu’il a toujours regretté son geste !

Martin, quarante ans, est un gredin, un bon à rien. Contrairement à eux, il n’a pas fait d’étude. Un jour, cet ouvrier de chantier a pété un câble et a tué trois de ces collègues de chantier à l’aide d’une grue. Soi-disant, ses collègues passaient leur temps à l’humilier, le narguer, il ne l’a pas supporté. Il ne sait pas défendu et a simplement accepté sa condamnation. Il n’y aura aucune rédemption, c’est un homme dont il vaut mieux se méfier…

– Et pourquoi ça ne pourrait pas être Maurice ? rétorqua Jason.

– Samuel était son ami.

– Pas tant que ça !

Tournons-nous maintenant vers le dernier de ces hommes. Maurice, quarante-cinq ans, est aussi le plus âgés d’entre eux. En fait, à part ça, on ne se sait pas grand-chose de lui. Il n’a pas l’air très futé et se comporte plutôt comme un attardé, le psychopathe parfait ? Mike et Jason essayent de comprendre ce qu’il se passe et se font peut-être aussi de fausses idées… Le problème, c’est que Martin et Maurice étaient avec eux lorsque le dernier meurtre à eux lieu.

– Putain les gars, qui a fait ça ? demanda Martin alors qu’il arrive tout juste sur les lieux du crime.

– Ce n’est pas toi, lui demanda Jason ?

– Ben non !

– Y'a qu'un malade dans ton genre qui peut faire ça.

– On était tous là, non loin l'un des autres quand s'est arrivé, rétorque Jason en fixa et Martin droit dans les yeux.

Un bain de sang, oui, c’est un vrai bain de sang. Les quatre hommes constatent les faits étonnés de l’agressivité et de l’acharnement que s’est donné le meurtrier. Le corps est entièrement démembré, les yeux, les oreilles… Même les parties intimes ont été déchirées. C’était déjà le cas pour le premier d’entre eux qu’il avait retrouvé. C’était un violeur, cela ne les avait pas étonnées. Et pour les autres ? Ils n’ont pas vraiment fait attention à ce genre de détail. Les scènes sont tellement horribles, que la plupart d’entre eux ont préféré ne pas regarder.

– Et si ce n’était pas nous ? s’interloqua Martin subitement.

– Qu’est-ce que tu veux dire ? lui demanda Maurice à son tour.

Martin émet une hypothèse intéressante. Il pense qu'il y a quelqu'un qui se cache dans la prison où alors, que ce sont les gardiens qui font ça ? Peut-être, se dit Mike. Mais pourquoi les gardiens feraient-ils cela ? Non, ça ne tient pas debout, comment justifier ces actes de mutilation ? Il faut être dégénéré pour faire ça ! C'est impossible que les gardiens soient derrière tout ça.

– Il y a quelqu’un d’autre ici, c’est certain, assura Jason démunit.

– L’endroit est grand, c’est possible, pensa Mike lui aussi, bien qu’il soit nouveau.

– Il n’y a pas de doute, il doit se cacher, il faut le trouver, conclut Martin précipitamment.

Le groupe s’accorde sur cette idée. Partant de cette hypothèse, les hommes se mettent en quête et décident de se séparer en deux groupes. Naturellement, Mike et Jason partent de leur côté, ils fouilleront le rez-de-chaussée, tandis que Martin et Maurice s’en vont de l’autre, ils iront à l’étage.

Les minutes défilent, ce sont au tour des heures. Il faut dire que la forteresse est immense. Même si certains accès sont condamnés, il y a des tas d’endroits où se cacher. Les hommes farfouillent un peu partout. Mike et Jason sont en ce moment même dans la bibliothèque. Les prisonniers ont foutu un beau bordel, il y a des livres de partout et des pages déchirés. C’est regrettable, se dit Mike, lui qui aime tant les livres. Étrangement, il en ramasse un au hasard et s’arrête sur celui-ci, interpeller par le titre de l’ouvrage. Ce livre semble contenir des informations sur l’histoire de la forteresse, coïncidence ?

Alors que Mike feuillette tranquillement les pages du livre, des hurlements retentissent.

– Vite, Martin et Maurice sont en danger, s’écria Jason en regardant Mike

     Rapidement, lui et Jason accourent à l’étage, dans la chambre où semble provenir les hurlements.

– Trop tard, ils sont morts.

– Quoi Jason, mais qu’est-ce que tu racontes ?

– Ils sont morts je te dis, ils sont tous les deux morts !

Jason a raison. Une nouvelle fois, la scène est horrible, vraiment horrible !

– C’est la sorcière, s’écria soudainement Mike résolu.

– La sorcière ? s’étonna Jason alors.

Mike lui explique ce qu’il a lu dans l’ouvrage qu’il tient encore dans les mains. Des histoires ? Non, peut-être pas tant que cela. Il y a bien longtemps, dans une sombre époque, une sorcière aurait été abusée et violée par plusieurs soldats de la forteresse avant d'être mise au bûcher. Elle avait juré de revenir se venger et tuerait tous les hommes qui y résideraient avant qu'on ne la brûle. C’est donc elle qui ferait ça ? C'est bien possible, se dit Mike en constatant une nouvelle fois que les pénis ont été arrachés.

– Mais non, arrête ton délire Mike et revient sur terre, putain !

Jason le sait, ce n’est pas Mike, ils étaient ensemble. Mais alors, c'est à leur tour à présent ?

– Ce n’est pas un délire, c’est la seule explication de ce qui se produit ici !

Soudain, une créature de rêve apparaît.

– Oh, qu’est-ce qu’elle est belle, s’emballa Jason.

La créature se dénude et tente de les attirer sexuellement. Pour des prisonniers, c’est quelque chose qu’on peut difficilement refuser. Et pourtant !

– Non Jason, éloigne-toi, c'est un piège !

Mike le sait, et Jason devrait le savoir lui aussi. Alors que les deux hommes tentent de se raisonner, la créature se transforme en un démon. Le diable est donc une femme ? Jason accourt vers la porte de la chambre, malheureusement celle-ci se referme sous ses yeux ébahit. De son côté, Mike tente d’agir, mais qu’est-ce qu’il peut bien faire face à une créature démoniaque ? Le démon sort une lame et les entailles à leur tour. Inutile de hurler, personne ne viendra les aider. Alors que les hommes se débattent, le diable leur déchire les membres un à un, en commençant par leur pénis. Les hommes finissent par succomber dans d’atroces souffrances. Il faut croire que les choses ne pouvaient se finir autrement. Dans un silence assourdissant,  la créature démoniaque s'efface.

Une alarme retentit dans la forteresse, c'est le lendemain. Elle est le signal pour prévenir les détenus que les gardiens vont faire leur entrer. Comme à chaque fois, ils leur apportent les rations pour la semaine et en profitent au passage, pour retirer les corps des prisonniers qui ont succombé. Alors que les gardiens débarquent, ils se demandent où sont-ils tous passés ? Lourdement armés, ils parcourent les différentes pièces de la forteresse pour tenter de les regrouper. À chacune des pièces qu’il parcourt, il constate les faits, le rapport est fait.

– Non, Capitaine, il ne reste personne.

– Comment ça, il ne reste personne ? s’étonna le capitaine.

– Des monstres capitaines, ce sont des monstres.

– Il en reste forcément un en vie, ce n'est pas possible.

– Je vous avez dit qu'il fallait mettre des caméras cette fois et des bracelets de surveillance.

– Vous savez bien que ce n'était pas le but du projet.

– Aucune personne ne peut s’afficher de telles blessures capitaines, même après avoir mutiler tous les autres. Et surtout, sans aucune arme blanche.

– Vous le savez tout autant que moi, ce sont des malins.

– Ce sont surtout des malades et des dégénérés.

   Tous ces corps mutilés, ces prisonniers ne sont que des bêtes… Le test à échouer, c'est bien dommage, conclut l’administration. La forteresse aurait été un lieu où chacun aurait pu avoir une dernière chance, loin des petites cellules et des barreaux des prisons standard. Mais non, aucun de ses condamnés ne méritent une telle chance, c'est un peu la conclusion que l'on retrouve sur la rapport de la commission d'enquête. Autant remettre la peine de mort à tous les hommes qui sont condamnés à la perpétuité !

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